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23 juin 2012 - Rencontre

15 Décembre 2012

Je lisais un livre, assis confortablement dans l’un des fauteuils du salon.

Levant les yeux, je vis que l’homme paraissait me dévisager. Je lui souris, pensant qu’il m’avait reconnu ; il se retourna vers le bar ignorant ma présence.

La veille, il était arrivé à l’hôtel. Mon grand-père nous avait présenté.

Il était son meilleur ami.

Ils avaient partagé l’épreuve de la mobilisation. La France constituait un corps armé, pour aider les Espagnols dans le RIF marocain, dans la lutte coloniale engagée contre les soldats d’ Abd El-Krim.

Mon grand-père me racontait ses souvenirs de Rifin, la rencontre avec Malo. Leur amitié était née dans des contrées hostiles et dangereuses. Malo le veilla lorsque que mon grand-père, poignardé dans le dos, délirait.

J’abandonnai ma lecture pour le contempler.

Il ressemblait à un aventurier. Façonné par un passé de marin au long court, il avait une silhouette élancée et musclée.

Il portait un pantalon de pont et une longue redingote de marine au col évasé. Une chemise à bords larges surmontait un gilet coloré.

La bouche était fine, les lèvres nerveuses et étroites.

Des rouflaquettes noires en forme de virgules lui barraient les joues.

Il était coiffé d’une casquette d’officier de la marine marchande, brodée d’un écusson, qui lui masquait un peu les yeux au regard incisif.

Il avait le visage anguleux et énergique.

Je me rapprochai de lui, pensant qu’il ne m’avait peut être pas remarqué.

« Bonjour Monsieur Malo. Je…

-Tu es Antoine, le petit-fils d’Albert.

-Oui.

-Ton Grand-père n’est il pas avec toi ?

-Oh, ma Grand-mère et lui sont partis visiter quelques amis près du port. Ils reviendront pour le déjeuner. »

Ainsi il m’avait vu. Il n’avait donc pas souhaité venir à ma rencontre.

Je fus vexé de son indifférence.

Quel intérêt pouvait il porter à un jeune adolescent, lui qui n’avait connu d’enfants que les mousses de marine ?

Le concierge interrompit notre conversation pour lui remettre du courrier.

Il s’éloigna sans autre salutation.

Je partis rejoindre mes copains sur le port, m’abandonnant à l’insouciance de l’adolescence.

Je revins en début d’après-midi pour déjeuner avec mes grands-parents. Malo n’était pas là.

Je racontai à mon grand-père l’anecdote du matin.

-Malo n’oublie jamais personne, me dit mon grand-père. C’est vital lorsque l’on a été soldat.

Les soirs suivants, Malo dîna à notre table.

Je rêvais en l’écoutant relater comment il avait affronté les tempêtes dans l’Océan Pacifique ou déjoué les pièges de la glace dans l’Antarctique.

Après les vacances, je ne revis pas Malo. J’oubliais cette rencontre.

A 17 ans, j’eu la surprise de le revoir lors d’un séjour chez mes grands-parents. Malo était venu passer quelques jours avec mon Grand-père.

Je révisais à l’approche des épreuves du baccalauréat.

Un matin où je peinais sur un cas de physique, Malo s’offrit de m’expliquer le problème.

Je pu apprécier son art de l’instruction et sa patience. J’étais toutefois étonné que, lui qui n’avait témoigné aucun intérêt à mon égard, accepte de me consacrer du temps.

Mon grand-père me dit plus tard qu’il avait participé à la formation des officiers de marine.

Il m’aida pendant les vacances. La veille de son départ, il me demanda de l’accompagner lors de sa promenade nocturne.

« -Je voulais te parler, jeune homme, me dit il. Je n’ai pas cessé de t’observer et de suivre ton évolution grâce à Albert, depuis le jour où il nous a présentés à l’hôtel Palace.

Tu es intelligent. Tu ne crains ni l’effort ni l’exercice physique. Sais-tu quelle orientation choisir l’année prochaine ?

Je restais muet quelques secondes. Jamais Malo ne m’avait parlé aussi longuement. Je fus touché de sa sollicitude.

-Mon père voudrait que je devienne ingénieur. Je vais préparer le concours d’entrée à Centrale ou les Mines. Je suis inscrit en prépa ‘math spé’… J’aurais préféré présenter le concours d’entrer à Sup Aéro. Mon grand-père m’a légué sa passion pour l’aviation. Il n’y a rien de plus beau, de plus majestueux, défiant toutes les lois de la gravité, qu’un avion.

-Tu confirmes mon intuition. Si tu le veux, je peux te servir de précepteur et parler à ton père…

L’utilisation de ce vocable très Renaissance me fait sourire intérieurement.

-Albert est d’accord avec moi. Ton grand-père te connaît bien. Nous nous chargeons de convaincre tes parents si tu es d’accord.»

J’acceptais avec empressement. J’étais conscient que cette réponse engageait mon avenir.

Vingt ans plus tard, mon cœur bat au rythme d’un compte à rebours.

T-3 minutes, T-2 minutes… Allumage moteurs ; allumage propulseurs…

Décollage. Largage des propulseurs.

Mes mains répondent automatiquement aux ordres. Mes yeux l’élévation des 2000 tonnes de graphite et d’aluminium sur l’écran géant.

Enfin, nous libérons la tension dans des applaudissements nerveux.

A travers la vitre des invités, j’aperçois ma famille et Malo.

J’ai participé au lancement d’une navette spatiale.

Anne LAUSSINE

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Notre Père

Mère, qui n'en pouvait plus de mes faux-bonds, m'avait prévenu bien longtemps à l'avance, craignant sans doute et à forte raison, encore quelques piètres excuses de mon cru auxquelles je ne me fatiguais plus de donner une quelconque apparence de vraisemblance.

A son retour de la dernière semaine du mois d'avril qu'elle avait décidé de passer au bord du Grand Lac dans la villa qu'elle avait hérité de grand-mère, viendrait dîner le soir-même celui qu'elle n'évoquait, très souvent devant moi, à mon grand désarroi, et pourtant à chaque fois dans un murmure pamoisant, que sous ces 3 mots tendres : Robert, mon ami.

Elle voulait me le présenter. Soit ! Mais j'aurais pu si j'avais eu l'audace lui en faire un portrait des plus fidèles - des orteils au cerveau - de ce personnage et par là-même oser la comparaison avec Père qui nous avait quitté trop tôt et que Mère s'acharnait à vouloir remplacer en prétextant agir pour le bien de ses enfants (ma sœur jumelle et moi), quand elle ne cherchait qu'à contenter ses désirs de femme, et alors que dans nos coeurs il n'y avait pas de place pour un autre que Père, fût-il mort alors que nous sortions tout juste de l'enfance. Petit et bedonnant là où Père était grand et svelte ; couard – réformé pour on ne sait quelle raison mais grâce à ses entrées au Ministère de la Guerre - alors que Père était mort, dans la force de l'âge, le sabre à la main, à la tête de son peloton, dans le sang et la boue du chemin des Dames ; de basse extraction et de morale douteuse, cet homoncule dénué de savoir-vivre, sans manières, directeur d'une fabrique de conserves était devenu par son négoce, du jour au lendemain, en tant que fournisseur de l'armée française, l'une des plus grosses fortunes de Reims. Etouffant sous la graisse et l'autosatisfaction, il se complaisait dans un luxe ostentatoire, s'enorgueillissait de disposer à l'année d'une loge au Grand Théâtre et d'une table toujours prête au Cheval Blanc, et de fréquenter la société qui ne le recevait qu'à contre coeur eu égard à sa connaissance des milieux parisiens.

Je ne sais pas ce qui avait attiré Mère chez cet homme si différent de ceux de notre milieu, et a fortiori de Père, tant dans sa façon de faire que sa façon d'être. Tout chez lui aurait du la répugner. Il représente, plus que les classes laborieuses tout ce que des gens biens nés tels que nous honnissent. Et pourtant, elle avait succombé je ne sais comment et pourquoi à ce drôle pour lequel elle avait les yeux pétillants de passion de Chimène. Elle en parlait comme jamais elle ne l'avait fait de Père. Mais, je ne peux croire que ce soit le luxe clinquant et la vie mondaine que lui promet ce fourbe qui l'ont attiré. Malgré la guerre, nous ne manquions de rien et vivions bien mais sans ostentation. Si je n'étais farouche défenseur des valeurs chrétiennes et opposé à toutes superstitions, je pourrais y voir là quelque étrange envoûtement. Heureusement, le pire n'était pas advenu et rien dans l'attitude de Mère ne pouvait pour l'instant prêter flanc aux critiques. Mère m'avait juré qu'elle ne le voyait qu'en présence d'un tiers. Elle avait encore assez de conscience pour savoir combien il était crucial en ces temps annonciateurs de futurs difficiles pour notre milieu de préserver l'honneur de la famille. Un scandale aurait des conséquences que je n'ose imaginer pour les nôtres, et la bonne société de Reims ne nous le pardonnerait pas. Je sais bien que l'union célébrée en grandes pompes au début de ce siècle si prometteur entre Père et Mère ne fut qu'un mariage de raison. L'union de 2 familles plutôt que celle de 2 êtres. L'alliance entre les tenants du commerce triomphant et les rejetons de la noblesse d'empire. Mais, c'est notre lot ici-bas d'accepter ce que la raison nous dicte et d'étouffer les élans du coeur. Je sais que Mère a du renoncer à d'autres projets plus sentimentaux et plus en accord avec sa nature fantasque rapidement étouffés dans l'oeuf sur l'autel de la raison.

Benoît Dervogne

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L’œil noir la fixait depuis un moment. Elle ne l’avait pas remarqué tout de suite.

Seule dans la salle d’attente, elle s’était assise. Devant elle, une table proposait des revues. Elle en était à sa troisième, feuilletée nerveusement. Elle sentait un malaise et ne comprenait pas. Machinalement elle leva les yeux et c’est là qu’elle le vit. Très vite, instinctivement, elle baissa la tête. Elle avait quand même eu le temps de l’apercevoir. Un œil noir sur une affiche. Fond blanc, et lui, occupant toute la place, peint à l’encre de chine, quelques traits seulement mais terriblement vivant. Ce regard posé sur elle la dérangeait, elle changea de fauteuil, lui tournant le dos et lui offrant sa nuque. Ce fut pire. Elle n’avait qu’une envie, tourner la tête et vérifier si l’œil était toujours là. Elle ne put résister et, il était toujours là.

Il la déstabilisait complètement. Un jeu malsain commença à s’installer entre eux. Elle changeait de place, mais, elle avait beau le défier, de face, de dos, de profil, il était toujours là, indifférent à ses essais successifs pour lui échapper. Cet œil l’inquiétait, l’énervait, la narguait, la déshabillait, l’attirait, la révulsait, et pourtant, elle ne s’en détachait pas. Un affrontement visuel s’était installé, faisant naître un début de relation qu’elle ne souhaitait pas, une intimité immédiate non désirée. Elle avait même l’impression qu’il grandissait et prenait à présent toute la place dans la pièce. Elle se sentait possédée par ce regard unique. Elle résistait mais n’en pouvant plus, excédée, et cédant à un instinct bizarre de survie, elle décida de partir.

C’est à ce moment là qu’elle entendit son nom. Au loin.

Debout, près de la porte, armé d’un sourire accueillant, le Psy l’attendait.

Isabelle Toros

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La salle était bondée. Estelle avait réussi à réunir autour de cette projection tous ses réseaux et leurs branches secondaires.

Une grande majorité appartenait au gotta parisien. Je ne saurais définir sans être méprisant et peut-être injuste ce qui fait qu'une personne me semble pârisienne et une autre non.

Cela n'aurait rien à voir avec son lieu de domiciliation, ni celui de sa naissance – je connais des Pârisiens nantais. Mais cela tient plus à une manière de se tenir, de se vêtir, de ne pas sourire et de sourire. Hautain certainement, avec hauteur, de toute manière, au dessus. Au dessus de qui ? Aucune idée.

La salle en était donc remplie.

Je m'ennuyais, seul. L'idée d'Estelle d'organiser cette avant-première dans le Marais était de centraliser, de rendre accessible au plus grand nombre la soirée. Pourtant le fim avait été tourné à Stains. Aucun de ceux qui étaient sur la pellicule n'étaient donc dans cette salle. Les discussions que j'ai surprises ne révélaient aucun intérêt quelconque pour le propos, mais il flottait un exotisme nauséabond que des images de « banlieue » ont pu éveiller chez ces Pârisiens.

Pourquoi continuer à leur montrer de telles images s'ils ne voient rien ?

Au milieu de tous ces borgnes, attroupés en petits groupes d'intérêt, une femme a traversé la salle, circulant entre les groupes sans s'arrêter et sans intérêt, pour accéder au bar où elle s'est servie un jus d'orange. Elle souriait doucement lorsqu'elle a porté à ses lèvres son verre. Elle est restée accoudée tout un moment au bar, elle ne regardait personne ni nulle part, elle n'attendait rien. Elle semblait voir défiler devant ses yeux des images invisibles aux autres. Puis elle a sorti un carnet de sa poche et a dû y noter quelques mots avant de le rempocher et de finir son verre.

Un énorme éclat de rire a tout à coup envahi la salle et toutes les têtes se sont tournées vers un des petits clans dont le rire s'est artificiellement prolongé pendant cinq minutes. Il y était question, semble-t-il, des performances sexuelles et sportives des Noirs.

La femme a, à ce moment, reposé son verre et, alors que tous les regards et quelques gloussements convergaient vers le troupeau ricanant, a retraversé la salle dans l'autre sens avec le même doux sourire.

Je l'ai suivie à l'extérieur et lui ai demandé :

« - Excusez-moi, Madame, j'aurais aimé savoir ce que vous avez pensé du film... »

Elle ne m'a pas répondu, ne s'est même pas retournée, mais lorsque je me suis trouvé à sa hauteur, elle m'a souri.

« - Alors ? » ai-je dit.

Ses sourcils ont formé comme un point d'interrogation sur son visage, elle ne semblait pas comprendre et m'a montré son oreille.

« - C'était comment le film ? » Ai-je de nouveau formulé, insistant.

Les poings serrés devant elle, elle a levé les deux pouces, un grand sourire ouvrant son visage.

Si les aveugles ne sont pas ceux qu'on croit, certains Sourds, eux, entendent.

Lucile

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